Il faut savoir une chose, c¹est que les choses ont changé à Tindouf, après moi. A cette époque, la priorité, toute la priorité était donnée au travail organisationnel. Et ce travail organisationnel, c¹était de servir l¹intérêt général. Ce dernier était prioritaire, une chose sacrée. L¹individu, sa famille, leurs besoins venaient après.
Donc, tout mon travail au sein de l¹Union des femmes du Polisario était consacré à l¹organisation. Voyages et réunions étaient programmés. A propos des voyages, j¹ai été presque partout dans le monde. Dans le monde arabe, c¹était la Libye, la Tunisie, l¹Algérie, etc. Toute l¹Amérique latine : Mexique, Nicaragua, Panama, Colombie, Venezuela, Pérou, et évidemment Cuba. En Afrique : Mozambique, Tanzanie, Angola, Afrique du Sud… Et presque tous les pays d¹Europe : Portugal, Espagne, Italie, France, Irlande, Belgique, Suisse, pays scandinaves… Nous étions presque toujours en Scandinavie avec nos très fréquents va-et-vient. Je voyageais en tant que présidente de l¹Union des femmes et membre du bureau politique du polisario.
Au B.P., nous étions trois femmes sur vingt-sept personnes. Je vais vous en citer quelques responsables : Mahjoub Ibrahim, Abdelkader Taleb Omar, Hamdi Berray, Khalil Ahmed, Al-Khalil Sidi M¹hamed, Fatimatou Allali, Senniya Ahmed, Salem Ould Lebsir, etc. Mohamed Abdelaziz, lui, était dans le comité exécutif et c¹était lui qui présidait les réunions du bureau politique. Parmi les responsables qui ont regagné le Maroc, il y avait Mustapha El Barazani, Omar Al-Admi et Ibrahim Hakim. J¹ai cité ces trois derniers, car j¹étais avec eux au B.P. Je suis restée au bureau politique de 1985 à 1989.
Un an avant que je quitte définitivement les camps, en 1988, il y a eu des événements gravissimes à Tindouf. Les gens vivaient sous la tension, réprimés et muselés. Les choses se sont accumulées malgré l¹organisation, la foi et tout. Je raconte les choses telles qu¹elles étaient, en toute franchise et avec objectivité. Et tout ce que je dis a bien eu lieu. Je le raconte pour l¹histoire. Les critiques, ça, c¹est autre chose.
«Exécutez d¹abord, discutez après».
La plus haute autorité du Polisario était le comité exécutif. Il exerçait une pression suffocante sur la population des camps. Il comprenait sept personnes : Mohamed Abdelaziz, Mohamed Lamine Ahmed, Mohamed Lamine El Bouhali, Mahfoud Ali Beyba, Ayoub Lahbib (qui vient de rentrer), Kafir Bachir Ould Sayed (le frère de Bachir Mustapha Sayed) et Ibrahim Ghali, qui est aujourd¹hui représentant du Polisario à Madrid.
Donc, il y avait pression sur les gens. Ces derniers travaillaient, étaient organisés et encadrés comme il se devait. Les opérations militaires contre le Maroc étaient dûment programmées, le travail politique aussi. C¹était l¹époque faste du Polisario avec les reconnaissances et l¹aide humanitaire internationale. Et les délégations étrangères venaient et repartaient, séduites par la propagande. Le comité exécutif et le bureau politique se sont alors donné un statut particulier : la vénération, sinon la sacralité. Surtout le comité exécutif.
Evidemment, la pression exercée d¹une main de fer ôtait aux gens toute liberté d¹expression. Ces derniers étaient tenus d¹appliquer les directives sans plus. On leur disait : «Exécutez d¹abord, discutez après». De la sorte, la population était affectée dans ses sentiments et ses traditions. Les habitants des camps étaient issus de tribus où tout se faisait à la «choura» (dialogue et consultation). Avant, chacun dépendait d¹une tribu ou d¹un groupe de familles, avait son cheikh et ses notables. Mais les choses ont changé dans le mauvais sens, trop changé même. La goutte qui a par conséquent fait déborder le vase, c¹était celle des droits.
En effet, il y avait les arrestations, mais les gens avaient peur de désapprouver, ne réagissaient pas, prenaient leur mal en patience. Car, pour la cause, tout était admis. Certes, il y avait déjà, depuis le début des années quatre-vingt, des frictions et des divergences au sein de la direction du Polisario. Mais, par la suite, les cadres moyens, qui ne réagissaient pas, se sont alliés aux contestataires, parce que, eux aussi, refusaient cette situation. Quant aux militaires, ils soutenaient le comité exécutif.
Taupe du Maroc
En 1988, les contestataires étaient donc des civils, des membres du bureau politique, des cadres, des militants du Front et des gens simples. Ils commençaient à tenir des réunions, à discuter ouvertement, à contester la sacralisation du comité exécutif, à réclamer l¹ouverture et la pratique démocratique, à formuler des revendications… On allait même loin en s¹interrogeant si cette sale guerre contre le Maroc allait durer longtemps et jusqu¹à quand ? Et pourquoi ne cherchait-on pas une solution avec le Royaume, la possibilité de négocier avec lui ?
Les revendications étaient principalement internes. On réclamait l¹ouverture de la direction et le droit de candidature au comité exécutif pour ne plus rester l¹apanage du groupe des Sept éternels. La base du Polisario trouvait que la situation dans les camps et la guerre ont trop duré. Cela a commencé à s¹exprimer par des sit-in et des manifestations de protestation. Mais ce qui était encore intolérable, c¹était les instructions données par Mohamed Abdelaziz, lui-même, à l¹armée pour intervenir et quadriller les camps. C¹était l¹état d¹exception.
L¹armée a donc agi. Elle a occupé les circonscriptions dirigées par les comités et les civils et a imposé un contrôle très sévère. Sans parler de la répression.
Personnellement, j¹étais en mission à l¹étranger, plus précisément en Suède. En rentrant, j¹ai appris, d¹abord en Algérie, qu¹il y avait dans les camps des problèmes, des soulèvements. Dès mon arrivée à l¹aéroport de Tindouf, on m¹a appris qu¹il y a eu aussi des arrestations. Abdelkader Taleb Omar et Hamdi Berray, du bureau politique, étaient parmi les prisonniers. Abdelkader Taleb Omar est actuellement président du parlement et Hamdi Berray est représentant du Polisario aux Iles Canaries. L¹actuel ministre de la santé, Mansour, a lui aussi été arrêté. Tous les trois étaient mes amis au B.P. Je suis alors allée leur rendre visite dans le centre où ils étaient retenus. Cela m¹a coûté cher : on m¹a considérée comme étant de leur camp.
Depuis ce jour, des soupçons pesaient sur moi. Je faisais l¹objet de surveillance continue. Je suis entrée dans une nouvelle étape, une nouvelle situation des fausses accusations, comme quoi j¹étais à la solde du Maroc, je servais ses intérêts et j¹étais sa taupe. Plus encore, j¹avais un prétendu plan d¹action; je transmettais des informations et des consignes; nous programmions ils ne savaient quoi, etc. Tout cela était fallacieux et irresponsable, car je n¹avais aucun contact avec le Maroc. Absolument rien. Ce qui se passait à Tindouf était, en clair, la conséquence d¹un mécontentement, d¹un raz-le bol et d¹une colère internes. Il ne m¹était jamais venu à l¹esprit de rentrer au Maroc et c¹était la dernière des choses à laquelle je pensais.
Interdite de quitter Tindouf
Donc, ce que j¹ai subi était injuste. J¹ai été écartée du bureau politique et de l¹union des femmes. Pas seulement moi, mais d¹autres encore. Le comité exécutif n¹admettait pas d¹autres avis que les siens, n¹écoutait personne et n¹en faisait qu¹à sa tête. C¹était lui qui décidait et les autres devaient exécuter sans commenter, sans rechigner, sans même réfléchir. Toutes les personnes placées sous surveillance, harcelées et muselées étaient appelées à faire la sacro-sainte autocritique consistant à reconnaître leur erreur et à s¹engager à ne plus récidiver. Tout cela était accompagné d¹une répression féroce. Et encore des gens ont été arrêtés, et des femmes frappées ou brutalisées.
Moi aussi, j¹étais appelée à faire mon autocritique. Pour dire quoi ? Je n¹en avais aucune idée parce que je n¹étais pas fautive, je n¹avais rien commis de blâmable, d¹inadéquat. Je n¹étais pas espionne et je faisais tout ce que je devais et pouvais faire. Par conséquent, j¹ai catégoriquement refusé de faire cette «autocritique». Mohamed Abdelaziz m¹avait parlé dans un langage inconvenable. Il m¹a menacée en proférant des choses du genre «si tu n¹es pas avec nous, tu es contre nous», et que je devais être dans son rang. Il m¹a aussi lancé des mots vulgaires pour ne pas dire obscènes.
Comme conséquence, mon passeport a été confisqué et consigné à l¹ambassade du Polisario en Algérie. C¹était un passeport diplomatique algérien. J¹étais aussi interdite de voyager et de quitter les camps.
Il est arrivé à cette époque que je suis tombée malade. C¹était la vésicule biliaire. On m¹a empêchée d¹aller en Algérie pour me soigner. Et nos relations sont tombées à un niveau encore plus bas. Ce n¹était plus le traitement qu¹on me réservait auparavant, qu¹on devrait avoir envers les responsables, les militantes et les militants qui servaient une cause déterminée. Non, c¹était devenu une cause personnelle avec des calculs étroits.
J¹avais aussi des problèmes avec l¹épouse de chef du Polisario, Khadija Bent Hamdi. Elle voulait dominer l¹Union des femmes sahraouies dont j¹étais la présidente. Je me souviens du jour où elle m¹a approchée pour me dire : «Tu dois ajouter le nom de ma s¦ur sur la liste». Il s¹agissait de la liste comprenant le nom des personnes qui faisaient partie des délégations de l¹Union se rendant à l¹étranger
Propos recueillis par Abdelkader Jamali
(Demain : Les pressions du Polisario contrées par une résistance inflexible)