Privés de théâtres et de cinémas, lassés de la télévision, chassés des rues le soir par le couvre-feu, les Irakiens redécouvrent à domicile l¹une de leur plus ancienne tradition: jouer de la musique.
Marchands d¹instruments et professeurs de solfège se disent de plus en plus sollicités par des amateurs, qui cherchent dans la musique la distraction et le réconfort qu¹ils ne trouvent pas ailleurs.
Et à Bagdad, où l¹électricité est un luxe et les familles ont du mal à joindre les deux bouts dans une économie qui n¹a pas redémarré depuis l¹invasion de l¹Irak en mars 2003, les apprentis mélomanes se contentent le plus souvent d¹instruments à corde, comme la guitare.
«Aujourd¹hui, nous vendons aux amateurs qui veulent apprendre la musique chez eux», explique Raghid, propriétaire d¹un magasin d¹instruments dans le district commerçant de Karrada (centre de Bagdad).
Il se souvient avec nostalgie de l¹époque où les groupes folkloriques et les formations plus modernes venaient se fournir dans son vaste négoce. Il avait même parmi ses clients des membres des orchestres philharmoniques officiels.
«Les grands artistes ont quitté le pays depuis longtemps», note-t-il, et aujourd¹hui c¹est un public plus jeune, et désargenté, qui hante sa boutique, la dernière du genre sur la grande avenue Rashid, qui en comptait six autrefois.
«Les adolescents préfèrent les guitares sèches, qui ne nécessitent pas d¹électricité», explique Raghid, dont la boutique était jadis connu pour ses «ouds», le luth moyen-oriental.
«La plupart de mes clients sont des étudiants et des jeunes diplômés, fans de musique occidentale», et il leur propose des guitares de fabrication coréenne qui coûtent entre 60 et 90 dollars, ou même chinoise, de médiocre qualité, mais dont le prix ne dépasse pas les 50 dollars.
Outre la paupérisation d¹une nation qui a longtemps vécu de sa rente pétrolière avant de sombrer sous le poids de trois guerres, de douze ans de sanctions et de la corruption endémique de tous les régimes, la musique doit dorénavant compter avec un nouvel ennemi.
«L¹extrémisme religieux» commence à s¹infiltrer dans la société irakienne, déplore Raghid, dont le père et le grand-père exerçaient déjà la profession de marchand d¹instruments. «Les artistes et les groupes de musiciens sont menacés, certains ont été battus par des militants islamistes», ajoute-t-il.
Beaucoup d¹artistes irakiens ont trouvé refuge en Syrie ou en Jordanie, selon Raghid, lui-même diplômé de l¹académie des Beaux Arts de Bagdad.
Mais ce chrétien, capable de jouer de tous les instruments exposés dans son magasin, assure qu¹il ne partira pas à son tour en exil. «Je mets un peu de vie dans ce pays dévasté par la violence. Je resterai en Irak aux côtés de mes amis chiites et sunnites», affirme-t-il.
Les clients sont d¹ailleurs de nouveau au rendez-vous, alors que la musique retrouve la faveur aussi bien des amateurs de rock que des familles, qui veulent donner une éducation musicale à leurs enfants.
Ce regain d¹intérêt pour la musique profite également aux professeurs de solfège, comme Abbas Fadhel, 28 ans, tout frais sorti de l¹Institut musical de Bagdad, qui a transformé son appartement en école de musique.
Il y reçoit chaque jour une quinzaine d¹élèves, et leur fait découvrir les secrets de la mélodie du «maqam», musique arabe traditionnelle, ou de la chanson occidentale.
«Les jeunes ont peur de sortir de chez eux, où ils tournent en rond et perdent leur temps», explique-t-il. «Dans le passé, ils pouvaient aller au théâtre ou au cinéma, mais aujourd¹hui ils n¹ont rien à faire, alors ils se mettent à la musique», se réjouit-il.
«C¹est merveilleux», assure l¹une des élèves, Zina Hatham, 16 ans : «J¹adore passer le temps à apprendre à jouer, et j¹aime m¹exprimer à travers la musique».
Ammar Karim