L¹enjeu primordial aujourd¹hui en politique publique au Maroc et qui continuera de l¹être demain, c¹est la liberté du citoyen et de son développement. Liberté du citoyen et développement humain sont étroitement liés en démocratie. La liberté de la presse, le droit d¹informer et d¹être informé, l¹accès libre aux médias sont des conditions fondamentales de la liberté du citoyen et des garanties nécessaires pour le bon fonctionnement de la démocratie.
Le rôle de la presse et des médias est capital pour la consolidation de la pratique démocratique à travers des débats et la confrontation des différentes idées et opinions qui composent la société. Une presse indépendante et libre peut servir positivement à l¹émancipation du citoyen et au développement du pays. Au lieu d¹aller chercher l¹information sur son pays dans des médias étrangers souvent hostiles, le citoyen doit faire confiance à sa presse nationale et à ses médias locaux. Le citoyen doit être informé correctement et objectivement pour qu¹il puisse adhérer aux projets de la société, participer au développement de son pays et se sentir concerné par les choix stratégiques de ses gouvernants.
Sans médias libres, il n¹y a pas de démocratie véritable; et sans démocratie, il n¹y aura jamais de médias indépendants et il n¹y aura pas non plus de développement possible. Le pluralisme trouve sa véritable signification en tant que fondement de la démocratie à travers une presse indépendante et des médias libres. Se réclamer de la démocratie, c¹est aussi accepter la diffusion des opinions qui déplaisent et des informations qui gênent. Aujourd¹hui, ces vérités sont devenues évidentes et acceptées par tout le monde, ou du moins par une majorité de Marocains.
Depuis que le processus de démocratisation s¹est imposé au Maroc comme alternative au régime autoritaire et que le principe de la pluralité des idées s¹est imposé à la pensée unique, on évoque sans cesse la déontologie du journalisme, la dérive ou le dérapage dans la liberté de la presse et on assiste à une multiplication de procès pour diffamation. Dans ce contexte politique fortement caractérisé par la revendication des libertés optimales et l¹obstination de certains milieux à étouffer ces libertés, deux logiques extrêmes s¹affrontent:
D¹un coté, celle d¹une certaine presse extrêmement minoritaire, qui se sent victime d¹une répression légale téléguidée et estime que la liberté de la presse n¹est pas encore acquise au Maroc. C¹est une presse réputée par ses excès et ses provocations, obsédée par les rumeurs du Palais Royal, au point que la personne du Roi est devenue une obsession pathogène et un fond de commerce juteux pour elle. Les auteurs de cette presse se considèrent champions des révélations et prétendent savoir tout sur ce qui se déroule dans l¹enceinte du Palais Royal et dans les rouages de l¹Etat.
Bref, une presse prétentieuse qui se croit détentrice de tous les secrets et de toutes les vérités. De ce fait, elle se permet tous les excès et s¹approprie tous les rôles, les fonctions et les compétences qui existent ainsi que le prestige de s¹adresser directement au monarque au nom du peuple !
En réalité, cette presse, qui se considère indépendante ou objective et prétend ainsi ¦uvrer pour le bien du Maroc, ne fait que nuire gravement aux exigences conjoncturelles de la transition démocratique. Sa mission principale d¹informer et sa vocation d¹exprimer le pluralisme sont détournées au profit d¹intérêts égoïstes politico-économiques dictés par une pensée marchande et mercantile. Comment accepter la diffusion de fausses informations, l¹alimentation sans cesse des rumeurs, la déformation des faits et la propagation des doutes… et malgré tout, elle se considère crédible…Comment expliquer ou comprendre que cette presse qui ne fait que dans la critique facile de toutes les actions entreprises par l¹Etat, l¹opposition systématique aux politiques du pays et qui ne dresse régulièrement qu¹un tableau noir sur la situation du pays… et estime après tout que la liberté de la presse n¹est pas acquise et que la liberté d¹expression se rétrécit de plus en plus au Maroc… Comment admettre sa position, souvent en faveur des ennemis de l¹intégrité territoriale, et son rôle ambigu comme «avocat du diable» contre les intérêts du Maroc… et dire qu¹il s¹agit d¹une presse nationale et destinée aux Marocains…
Cette logique désolante, sans cohérence et sans objectivité, ne reflète aucunement la diversité de l¹opinion nationale et ne respecte aucune éthique, ni déontologie de la profession. Avec cette attitude controversée, elle ne sert en rien l¹intérêt national ni le pluralisme, ni la promotion de la démocratie. Au contraire, elle porte préjudice au processus démocratique et cause des dégâts graves à l¹image du pays et à la réputation de ses institutions. Ce n¹est pas la liberté de critiquer ou le droit d¹informer qui est contesté ici, mais seulement l¹excès et la mauvaise foi et la volonté de nuire à tous les coups. La liberté de la presse ne se conçoit pas sans la responsabilité, ni sans le respect de la vie privée des citoyens et des institutions du pays. Une presse libre et indépendante n¹est pas synonyme d¹une profession sauvage qui se pratique sans déontologie, ni règles.
De l¹autre coté, une autre logique, elle aussi extrêmement minoritaire, liée au pouvoir politique et administratif hérité de l¹ancien concept de l autorité publique. Les acteurs de cette logique refusent les transformations socio-politiques accélérées que connaît actuellement le pays et utilisent le principe de la diffamation comme moyen de restriction des libertés et tentent de peser sur la presse à travers des procès et des amendes disproportionnées. Ces nostalgiques de l¹ancien ordre sont les partisans de la presse «du tout va bien» qui diffuse et véhicule un seul message, celui de la pensée unique.
Évidemment, ces détracteurs de la presse osée et ces régulateurs autoproclamés des libertés qui appartiennent à des milieux franchement opposés à l¹ouverture démocratique se sont saisis juridiquement de la déontologie pour en faire le plus souvent un instrument de répression légale ou pour forcer les journalistes à l¹autocensure. La multiplication des procès pour diffamation témoigne de cette logique qui cherche à limiter légalement les libertés à travers la justice.
Le rappel à la déontologie et la menace par des procès pour diffamation sont devenus ainsi une épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus des journalistes. On s¹en sert à chaque fois qu¹on veut forcer un journaliste gênant ou une presse encombrante à rentrer dans les rangs.
C¹est là une façon détournée de vider le principe de la déontologie, de la liberté d¹expression et du code de la presse de leur contenu. Que la presse soit poursuivie en diffamation est tout à fait normal dans un Etat de droit; encore faut-il que le fonctionnement de la justice soit totalement indépendant. A une déontologie du journalisme, il faut certainement répondre par une déontologie du fonctionnement de la justice et de l¹exercice du pouvoir public.
Il est vrai que la régulation de la liberté de la presse serait difficile en dehors de l¹action de la justice dont le rôle essentiel est de garantir les principes de l¹État de droit et les libertés publiques. Seulement, il faut que les peines soient proportionnelles aux délits de la presse et les condamnations à des dommages et intérêts restent raisonnables comme c¹est le cas dans beaucoup de pays démocratiques.
Il est normal et même nécessaire d¹exiger du journaliste le respect de la déontologie et les règles du code de la presse. Le respect de la déontologie comme dans tout autre corps de métier en relation directe avec le public est une condition essentielle pour exercer le journalisme avec beaucoup de rigueur et de sérieux. Mais quand la déontologie devient un simple instrument de répression pour limiter la liberté de la presse, le citoyen a le droit et le devoir de la dénoncer, parce que ce sont les libertés démocratiques qui sont menacées et non seulement les libertés de l¹exercice d¹une profession qui sont en danger.
La perception que l¹on a de la déontologie du journalisme et l¹usage que les pouvoirs publics en font sont souvent très vagues. Avec cette ambiguïté, le journaliste a du mal à savoir quand il s¹écarte de la déontologie et dans quelles proportions il s¹éloigne des principes du code de la presse. Compte tenu de cette ambiguïté, peut-on accorder aux journalistes des circonstances atténuantes ? Dans ce cadre, jusqu¹où peut s¹exercer la liberté de la presse qui, comme toutes les libertés, est régie par la loi.
Pour éviter tout risque de régression dans le processus démocratique et de dérapage autoritaire, il est nécessaire de se pencher d¹urgence sur l¹organisation de cette profession vitale pour la démocratie. L¹urgence, c¹est de mettre en place un conseil national de la presse au sein duquel les journalistes se chargent de l¹organisation de leur profession avec la participation des différentes sensibilités politiques du pays, ce qui permettra à l¹avenir d¹éviter les dérives, que ce soit de la part des autorités ou de la presse. Par conséquent, il faut promulguer un nouveau code de la presse afin que celle-ci soit cernée de règles claires et d¹un cadre juridique précis qui fixe les limites et les prohibitions d¹une part, et le droit du citoyen à l¹information et à l¹expression libre d¹autre part.
La déontologie et la liberté de la presse ne concernent pas seulement les journalistes mais tous les citoyens, et méritent qu¹on en fasse une préoccupation commune. Dans la transition démocratique en cours au Maroc, il est nécessaire d¹accorder au problème des rapports difficiles entre le pouvoir politique et les journalistes l¹attention qu¹il mérite, et en faire par conséquent l¹objet d¹un débat national serein pour permettre à l¹opinion publique d¹apprécier les arguments des uns et des autres.
Le problème de la déontologie n¹est pas particulier à la presse marocaine et la situation tendue entre la presse dite « indépendante » et le pouvoir politique n¹est pas spécifique au Maroc. Cependant, il faut avoir le courage intellectuel de reconnaître que le degré de liberté de la presse marocaine est en avance sur celui de beaucoup de pays de même niveau économique et socio-culturel. Le traitement des sujets politiques très sensibles, le ton élevé de l¹expression libre et l¹opposition franche qui s¹exerce à travers la presse écrite sont des indicateurs clairs de cette avance. Sauf que ce progrès dans la liberté de la presse n¹est pas encore visible à travers les médias audiovisuels du pays.
Mohamed SIHADDOU
Ingénieur en Télédétection
Toulouse/FRANCE