Il y a différentes façons de recevoir son courrier. A domicile, c¹est le mode le plus courant, quand on dispose d¹une adresse fixe située dans un quartier desservi par les tournées postales, et que son immeuble est pourvu de boîtes aux lettres. Sinon, par le truchement d¹une boîte postale, à condition qu¹il y en ait de disponibles, quand le volume de courrier reçu le justifie ou que son lieu de résidence n¹est pas postalement desservi. Enfin par Poste Restante quand on ne rentre dans aucune des catégories précédentes.
Car la Poste Restante est un vieux service offert aux personnes qui se trouvent à un moment de leur vie sans résidence fixe ou qui s¹en absentent temporairement et qui leur permet de faire suivre leur courrier. La réexpédition de ce courrier se fait vers le bureau choisi en Poste Restante. Si l¹envoi n¹est pas réclamé après un délai de garde de 15 jours, il est retourné à son expéditeur. La livraison se fait au guichet de la Poste, moyennant l¹acquittement d¹une taxe supplémentaire d¹affranchissement. L¹envoi est normalement frappé d¹un Timbre à date spécial portant la mention «Poste Restante». La tradition voulait qu¹il soit porté à l¹encre rouge. Voilà pour les détails techniques de ce service.
L¹ancêtre du courriel
Il n¹est guère besoin de connaître l¹adresse exacte d¹un bureau de poste pour y recevoir son courrier puisqu¹il suffit de rédiger l¹adresse ainsi :
– M. Adam Foulane ou Mme Eve Foulana, de préférence en majuscules, et le prénom en toutes lettres, en raison des nombreux cas d¹homonymie.
– Poste Restante suivi du nom de la ville et de la mention R.P. (Recette Principale). Pour les lettres adressées à l¹étranger il suffit d¹indiquer la mention GPO après la ville (General Post Office) puis le nom du Pays.
– Au verso : Nom et adresse complète de l¹expéditeur.
C¹est pratique quand on est «mobile» (mais pas forcément SDF) de se faire adresser son courrier au bureau de Poste de son choix. Dans le temps, un marin pouvait ainsi retrouver son courrier à chaque escale et un agent commercial pouvait se faire livrer ses échantillons ou ses catalogues à la demande ou à l¹avance en fonction de son choix d¹itinéraire. En l¹absence de sociétés de messagerie express, le grand public recourait fréquemment à ce service pour se faire livrer, en période de vacances, des doubles de clés, des lunettes ou un médicament oubliés, ou tout simplement des billets doux.
Précurseur du courriel, le service de la Poste Restante, tombé quelque peu en désuétude depuis, facilitait à l¹époque la mobilité des personnes et garantissait surtout le secret des correspondances en particulier celles frappées du sceau de l¹intimité. Car la confidentialité a toujours été la règle et demeure à ce jour garantie puisque ce courrier ne peut être délivré qu¹au destinataire et en mains propres, après vérification de son identité. D¹où son caractère un peu mystérieux dont a hérité d¹ailleurs le courriel qui n¹est accessible que par la composition d¹un code personnel d¹accès. Mais ce service n¹est ni anonyme ni clandestin !
Avec le développement du téléphone portable, la Poste Restante peut, paradoxalement, retrouver une seconde jeunesse, en permettant aux 13 millions d¹abonnés au GSM prépayé dont la majorité n¹habite pas dans des zones viabilisées et ne dispose donc pas d¹adresse, de recevoir leurs objets de correspondance et leurs colis au bureau de poste le plus proche de leur domicile ou lieu de travail.
Un zèle coupable
Dans un contexte où les relations conjugales à l¹intérieur du couple pouvaient s¹avérer conflictuelles, la Poste Restante constituait un moyen de protection de la vie privée de l¹un ou l¹autre des conjoints. Deux témoignages montrent comment le non-respect des procédures en vigueur pouvait s¹avérer tantôt désastreux pour un foyer ou au contraire se révéler salutaire pour la sauvegarde de l¹harmonie d¹un couple. Ils révèlent également les risques pouvant entacher l¹exécution de cette prestation.
Un facteur de Meknès raconte comment, après des années d¹efforts, il parvint à acquérir une moto pour pouvoir exercer comme facteur rural et s¹embarque, malgré lui mais par sa faute tout de même, dans une mésaventure à cause de la Poste Restante :
Il avait tenté par tous les moyens, confia-t-il, d¹avoir une moto d¹occasion «sans permis». Ses maigres économies et ses «étrennes de fin d¹année» sous forme de blé dur et de pommes de terre, offertes par les colons français, lui avaient permis de faire l¹appoint. Après des années d¹épargne, ses efforts furent récompensés et il put enfin disposer d¹une mobylette. Cette acquisition lui offrait dès lors la possibilité d¹assurer les tournées rurales de distribution postale.
Aussi fut-il muté un an après, sur sa demande, à Meknès Ville Nouvelle en qualité de facteur rural. On lui affecta la tournée dite : «La Touraine plus 18 km en allant vers El Hajeb où se trouvait la distillerie d¹Alcool». Un bon matin, en classant son courrier comme d¹habitude, il tomba sur une lettre au nom du directeur de la distillerie portant la mention Poste Restante en guise d¹adresse. Croyant bien faire, il glissa intentionnellement ce pli sous la porte du domicile du destinataire.
Pour son grand malheur et celui de M. Georges, sa femme intercepta la lettre et découvrit que son mari entretenait des relations extraconjugales avec l¹une de ses connaissances. Il s¹ensuivit une explication d¹abord orageuse mais qui tourna rapidement à un affrontement violent avec échange de coups et blessures puis à l¹éclatement du ménage. L¹épouse porta plainte contre son mari auprès du Tribunal de 1ère Instance de Meknès. Quinze jours plus tard, le facteur se retrouva devant cette instance. Heureusement pour lui, reconnut-il bien après, «grâce à l¹intervention de mon chef de section M. Callais, je fus sauvé in extremis de l¹emprisonnement et de la révocation.»
La Poste était effectivement garante du respect de l¹intégrité et de l¹inviolabilité des correspondances. «Je n¹avais que deux ans de service, à un moment où c¹était très difficile de trouver un emploi, ayant dû chômer pendant longtemps avant d¹être recruté aux PTT.»
Depuis cet incident «indépendant de ma volonté», se plaît-il encore à souligner, il a bien pris note de la spécificité de la Poste Restante et surtout de son caractère strictement confidentiel, le courrier ne devant être remis qu¹en mains propres, comme le précise parfaitement bien l¹Instruction postale.
Le flair du postier
De son côté, un ancien de Mohammedia devait-il confirmer lui aussi le caractère ultrasensible de la Poste Restante et l¹obligation du respect de la confidentialité de la correspondance :
Dans les années soixante, se souvint-il, il était en service au guichet, lorsqu¹un jour, une femme, la trentaine à peine, accompagnée d¹un homme de dix ans son aîné, aux traits tirés et la mine sévère, se présenta pour lui réclamer son courrier à la Poste Restante. En parlant, cette femme tremblait, elle bégayait même, son teint changeait, et «j¹ai tout de suite compris que l¹homme qui l¹accompagnait, était vraisemblablement son mari ». Le postier jeta un coup d¹¦il rapide sur le casier du courrier de la Poste Restante, et s¹aperçut que la lettre était bien arrivée et qu¹elle portait même au verso le nom et l¹adresse de l¹expéditeur, en l¹occurrence vraisemblablement un galant monsieur. Il lui répondit sèchement : « Mme il n¹y a pas de courrier à votre nom ! »
Le couple reparti, sans courrier, « je m¹en suis voulu de lui avoir menti et de ne pas avoir correctement rempli ma tâche. Mais mon instinct me faisait craindre le pire en remettant une correspondance privée à une personne ne disposant visiblement pas, sur le moment, de la liberté de ses faits et gestes ».
Heureusement, en début d¹après midi et à sa grande satisfaction, la dame est revenue toute seule, cette fois-ci. Elle a récupéré sa lettre en le remerciant de lui avoir évité un désastre familial (et accessoirement une sacrée bastonnade si ce n¹est plus !).
Un siècle avant, en 1853, Charles Baudelaire, persécuté alors par ses nombreux créanciers pressés de saisir ses papiers puisqu¹il ne lui restait pas grand-chose sauf ses amourettes, écrivait déjà à l¹une de ses nombreuses conquêtes, Madame Aupick : « le 15 juillet, je t¹écrirai à Barèges Poste Restante, Š ». Comme quoi la tradition de refuge du courrier du coeur est bien ancrée depuis des lustresŠ
Mais l¹Instruction postale disait pourtant bien que le destinataire doit seulement décliner son identité. La perspicacité du postier l¹a cependant poussé à la réserve sentant que son interlocutrice n¹était pas dans une situation normale et qu¹il s¹agissait peut-être bien d¹un courrier du c¦ur. Heureusement le postier, qui était fortement attaché à la paix des ménages, avait aussi un sacré flair !
Peut-être est-ce en hommage à la discrétion de ces nombreux postiers anonymes que Guy Béart a composé sa belle et fameuse chanson « Poste Restante » et ce refrain si complaisant :
«On s¹écrivait Poste Restante, Au rendez-vous des apprentis, Au rendez-vous des sans-logis, Que sont les amours débutantes».
par Mourad Akalay